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Des peupliers de bio-ingénierie au secours du climat ?
Il y a quelques mois, une start-up étasunienne, Living Carbon, annonçait avoir mis au point et planté depuis 2023 des peupliers génétiquement modifiés. Ces derniers absorberaient plus vite le gaz carbonique, un des gaz à effet de serre dont l’accumulation actuelle dans l’atmosphère et les océans est problématique pour le climat terrestre. Dans le cadre de ce programme, Living Carbon fait appel à l’acquisition de crédits carbone pour financer ses travaux. Objectif : réduire la photorespiration des plantes, peupliers et pins. Qu’est-ce que la photorespiration? Quelles seraient les répercutions écologiques de cette modification de la photosynthèse ?

À partir de considérations évolutives sur la fossilisation du carbone qui a piégé du gaz carbonique atmosphérique dans le passé, Living Carbon prétend, dans un article écrit par son co-fondateuri, que grâce à sa start-up, « dans trois cents millions d’années, une histoire similaire pourrait être racontée aujourd’hui ; une ère de piégeage du carbone si massive que les roches raconteront notre histoire ». Il est ainsi fait référence à une échelle des temps sans commune mesure avec l’évolution anthropique du carbone atmosphérique depuis 200 ans.
Pour toucher à cette échelle de temps, Living Carbon fait appel aux biotechnologies en modifiant génétiquement des arbres pour augmenter leur photosynthèse et ainsi soustraire plus de gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère. Une lecture plus approfondie nous apprend que les arbres en question sont issus de bio-ingénierie associée à l’intelligence artificielleii. Ils seraient « climato-intelligents ».
Living Carbon surfe également sur certaines connaissances scientifiques pour proposer des solutions de bio-ingénierie réduisant la décomposition et minéralisation du carbone dans le sol (qui produisent du gaz carbonique) et, d’après eux, restaurer la vie des sols détruits.
La photo-respiration des plantes considérée comme un « gâchis »
Dans un articleiii écrit par des chercheurs travaillant presque tous à Living Carbon, nous lisons qu’un des objectifs est d‘« exploiter le pouvoir de la biologie synthétique pour améliorer la capacité naturelle de piégeage du carbone dans les plantes, en particulier les plantes non annuelles, et fournir une approche biologique pour réduire encore les niveaux de CO2 dans l’air. Ici, nous avons sélectionné une voie de contournement de photo-respiration et testé son efficacité sur l’amélioration photosynthétique dans un peuplier hybride, INRA717-IB4 ».
Ces peupliers hybrides INRA717-IB4 ont été obtenus en France, à l’Inrae de Versaillesiv. Puis, ils ont été donnés par l’Université d’État de l’Oregon à la start-up étasuniennev. C’est sur ces plants que sera appliquée l’ingénierie consistant à réduire leur photorespiration.
Quelques considérations de biologie
La photorespiration réduit le rendement photosynthétique chez les plantes, d’où le terme de « gâchis » employé par les bio-ingénieurs. Cependant, si la photorespiration est apparemment préjudiciable à l’activité photosynthétique des cellules où elle a lieu, elle serait néanmoins utile, voire nécessaire, à d’autres fonctions cellulaires et sa limitation ne se traduirait pas forcément par une meilleure croissance des plantes. Certaines études ont par exemple suggéré que la photorespiration puisse être indispensable à la fixation de l’azote des nitrates du solvi et à la synthèse de certains acides aminés. Par ailleurs, la photorespiration protège les plantes lorsque l’éclairement est intensif. En effet, dans ce cas, les réactions de photosynthèse s’emballent avec le risque de production de formes actives de l’oxygène, néfastes pour le chloroplaste et la cellule végétale. Ainsi, en consommant de l’oxygène par respiration, les plantes sont protégéesvii. La modification des arbres réduit aussi leur résistance aux maladies, prix à payer pour une croissance accélérée. En effet, en grandissant plus vite, les arbres utilisent plus d’énergie au détriment de la synthèse de certains acides aminés, dont ceux impliqués dans la résistance aux pathogènes.
La photorespiration est réduite chez les plantes tropicales comme le maïs, la betterave à sucre, le millet ou le sorgho, qui ne se développent que dans des sols riches en humus, donc en carbone. Cet équilibre s’est établi au cours de l’évolution dans les climats chauds. C’est en quelque sorte cela que voudrait copier la bio-ingénierie sur la photorespiration.
Réduire la photorespiration par « bio-ingénierie » chez les peupliers
Se basant sur des travaux réalisés chez le tabacviii, l’équipe de Living Carbon propose de modifier génétiquement les peupliers par des transgénèses et en utilisant un ARN interférent (ARNi) synthétiqueix. Les gènes concernés sont ceux modifiant deux enzymes de la photorespiration. Une séquence d’ADN codant l’ARNi est aussi nécessaire. Le résultat attendu est la libération de CO2 dans le chloroplaste et l’orientation préférentielle de l’activité de la RuBisCo vers la voie de photosynthèse, et non de la photorespiration.
Cela est simple à dire mais procède d’étapes excessivement complexes et nombreuses, dont la définition ne résulte, à ce stade, que de calculs informatiques et dont l’efficacité dans la réalité n’est, à ce stade, pas vérifiée. En résumé, il faut cultiver de jeunes plants de peuplier hybride en serre dans des conditions physiques (lumière, température, humidité) et chimiques (milieu de culture) entièrement contrôlées. Puis, des fragments de tissus (des explants) seront prélevés sur ces pousses et mis en contact avec des bactéries, une souche d’Agrobacterium tumefaciens (bactérie originaire du sol), préalablement génétiquement modifiée et qui sera le vecteur des modifications. Les informations concernant les gènes d’intérêt, les séquences annexes indispensables ainsi que la séquence transgénique codant l’ARNi, en tout 41 « évènements » transgéniques, sont prélevées dans des bases de données informatiques. Elles ont été identifiées dans des espèces variées (citrouille, arabette, algues vertes, bactéries…) et la construction génétique de ces « évènements » est conçue de manière informatique grâce à un logiciel spécialisé. Les bactéries GM sont maintenues dans un milieu de culture artificiel où toutes les composantes sont contrôlées et, une fois mises en contact avec les explants de peupliers, elles sont censées les infecter pour modifier génétiquement ces derniersx. Enfin, on cultive ces cals de peupliers in vitro sur des milieux de cultures contrôlés, avant de les élever en salles « de croissance » avec des témoins non modifiés.
Pour le moment, en laboratoire, une augmentation de biomasse des arbres a été constatée. Mais la corrélation avec la capture augmentée de gaz carbonique laisse à désirer. On peut lirexi que « l’augmentation de la production de biomasse dans ces arbres de peupliers manufacturés peut ne pas refléter pleinement l’amélioration de l’efficacité dans la photosynthèse. […] Les systèmes biologiques sont puissants en ce qui concerne le prélèvement et le stockage du carbone, mais en même temps, ils sont complexes. Il va sans dire qu’il s’agit d’un objectif ambitieux d’élaborer des arbres pour avoir un impact significatif sur le changement climatique ».
Cependant, dans le même temps, Living Carbon à planté 5 000 peupliers issus de cette bio-ingénierie dans le sud des États Unis. Ce qui fait dire à la start-up qu’ « il sera intéressant de voir comment les résultats des essais sur le terrain s’alignent avec ceux des études de la salle de croissance ».
La part de l’intelligence artificielle dans les travaux de Living Carbon
La cofondatrice de cette start-up, Maddie Hall, était présidente de Open Al, dont l’actionnaire principal est Microsoft. Open AI a aussi participé au financement de Living Carbon. Open Al est une société dont la mission est « de faire en sorte que l’intelligence artificielle générale – les systèmes d’IA qui sont généralement plus intelligents que les humains – profite à toute l’humanité »xii.
En résumé, l’idée est d’utiliser les réseaux « neuronaux » artificiels (version de l’IA qui produit les voitures autonomes et ChatGPT, par exemple), mais aussi d’autres formes d’IA, pour scanner des composantes du monde biologique existant, les modéliser et les utiliser. Dans le cas traité ici, limiter la photorespiration naturelle des arbres pour réduire la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère. Pour Living Carbon, ces arbres, qui seront des bio-objets, devraient être plantés à grande échelle.
Living Carbon mêle ainsi des connaissances sur l’évolution du vivant et la photosynthèse lues au travers de l’IA et des derniers travaux de biotechnologies. L’observation de la nature actuelle et des traces de son histoire passent par l’IA. L’arbre, et encore moins l’écosystème, ne sont considérés dans leur entité. Une vision mécaniste et très partielle du vivant, ce que l’IA en restitue, est seule considérée.
Living Carbon ignore les répercussions sur les écosystèmes
Certaines questions se posent : que se passera-t-il lorsque des espèces sauvages seront contaminées par les pollens des peupliers de bio-ingénierie ? Lorsque leurs graines germeront dans d’autres forêts ? Que deviennent les bactéries Agrobacterium utilisées comme vecteurs ? Peuvent-elles se retrouver dans le sol, transférer les gènes modifiés à d’autres espèces ? Ces peupliers vont consommer encore plus d’eau, n’est-ce pas un problème à l’époque de sa raréfaction ? Ce type de culture n’impacte-t-il pas la qualité des sols ? Et surtout, y a-t-il un réel impact de cette modification des arbres sur la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère ?
La photosynthèse augmentée sera-t-elle efficace sur le cycle du carbone ?
Le cycle du carbone peut se lire à l’échelle de la vie humaine, c’est le cycle biologique : photosynthèse (qui consomme du CO2) d’une part et respiration-fermentation (qui produit du CO2) d’autre part. Ce cycle était équilibré avant l’industrialisation et la concentration de gaz carbonique dans l’air était stable.
Le cycle du carbone peut aussi se lire à l’échelle des temps géologiques, sur des millions d’années. Le plus grand réservoir de carbone sur Terre se trouve dans les carbonates (essentiellement des roches calcaires) et les roches siliceuses carbonatées (carbone minéral). D’ailleurs, l’altération de ces dernières lors de leur érosion consomme du gaz carbonique. C’est donc un puits de carbone, le plus important sur Terre, mais très lent (millions d’années). D’où l’idée des géo-ingénieurs de broyer des rochers en présence d’eau pour aller plus vite à réduire l’effet de serre !
Les roches fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel, sont issues d’une dégradation incomplète de la matière organique à cause de conditions climatiques et pédologiques, il y a des millions d’années. Leur combustion actuelle libère brutalement le carbone emprisonné. De même, la calcination des calcaires en ciment et l’exploitation industrielle et chimique des sols libèrent une quantité importante de gaz carbonique. Il en est de même de la fabrication des engrais de synthèse, qui libèrent par ailleurs, suite à leur épandage, du protoxyde d’azote, gaz à effet de serre extrêmement puissant.
Les sols, en effet, à l’état naturel ou en agriculture paysanne biologique, stockent sur plusieurs dizaines d’années le carbone sous forme de molécules d’humus produites par les décompositions et fermentations dues aux organismes du sol. Le sol : notre « assurance vie » question carbone ! Or, les monocultures à croissance accélérée que sont ces peupliers de bio-ingénierie épuisent l’humus des sols. Humus qui, en fin de compte, se minéralise plus vite par respiration avec retour rapide du carbone dans l’atmosphère. Seuls les arbres à croissance lente et à longue durée de vie, les forêts diversifiées et l’agroécologie paysanne (rotations lentes de cultures associées diversifiées, associations culture-élevage, agro-foresterie…) entretiennent l’humus et donc le stockage du carbone dans les sols.
Une vision globale du cycle du carbone sur le long terme (et en lien avec d’autres cycles, notamment ceux de l’eau et de l’azote) est nécessaire pour penser le climat futur de la Terre. Living Carbon en est conscient puisqu’elle prétend aussi ralentir la décomposition du bois dans le sol (ses travaux sont moins avancés et utiliseraient des technologies à base de métaux comme le cuivre et le nickel répandus autour des racines) : « nous adoptons une approche multidisciplinaire pour nous engager activement dans des domaines de recherche tels que la diminution du taux de décomposition du bois pour parvenir à un stockage prolongé du carbone et un stockage du carbone encore plus rapide ». Les moyens employés seront-ils les bons ? L’avenir le dira dans… quelques millions d’années !
Living Carbon et la croissance verte
Living Carbon fait beaucoup de promesses climatiques avec ses « solutions fondées sur la nature », mais ne s’intéresse pas à la diminution de l’utilisation des combustibles fossiles puisqu’elle propose une compensation carbone aux entreprises qui rejettent le gaz carbonique dans l’atmosphère. Autrement dit, elle propose un droit à polluer. Ses meilleurs clients, sont d’importants investisseurs privés : Temasek Holdings (Singapour), Toyota Ventures (San Francisco), Fellicis Ventures (Silicon valley)xiii, Microsoftxiv… L’entreprise est aussi soutenue par de l’argent public, notamment via le département de l’Agriculture étasunien. Living Carbon est en fait une société décomplexée qui s’inscrit dans le capitalisme vertxv.
Encore une fois, les promesses du techno-solutionnisme conduisent à utiliser la nature et les champs comme paillasse de laboratoire et à alimenter les marchés financiers. Pour les informaticiens en bio-ingénierie, la photosynthèse a une part de raté : la photorespiration. Or, le simple fait de sa persistance évolutive témoigne d’un équilibre au sein de l’organisme chlorophyllien, équilibre qui sera forcément détruit.
Plus globalement, toucher à la photosynthèse, processus à l’origine du développement de la vie sur Terre, n’est-il pas inconséquent ?
i Living Carbon, Patrick Mellor, « For Carbon Removal, Scaling is More Critical than Permanence », 28 juin 2023.
ii Elliot Hershberg, « Living Carbon: Photosynthesis-Enhanced Trees – Why and how to engineer trees; climate biotech business strategy », The Century of Biology, 22 septembre 2024.
iii Yumin Tao et al., « Enhanced Photosynthetic Efficiency for Increased Carbon Assimilation and Woody Biomass Production in Engineered Hybrid Poplar », Forests 14, no. 4: 827, 2023.
iv Malte Mader et al., « Whole-genome draft assembly of Populus tremula x P. alba clone INRA 717-1B4 », Silvae Genetica, vol. 65, no. 2, Sciendo, 2016, pp. 74-79.
v Yumin Tao et al., « Enhanced Photosynthetic Efficiency for Increased Carbon Assimilation and Woody Biomass Production in Engineered Hybrid Poplar », Forests 14, no. 4: 827, 2023.
vi Contributeurs de Wikipédia, « Photorespiration », Wikipédia, l’encyclopédie libre.
vii RN’Bio, « La photorespiration ».
viii Paul F. South et al., « Synthetic glycolate metabolism pathways stimulate crop growth and productivity in the field », Science 363, 4 janvier 2019.
Ces travaux sont financés par la Fondation Bill et Melinda Gates
ix Yumin Tao et al., « Enhanced Photosynthetic Efficiency for Increased Carbon Assimilation and Woody Biomass Production in Engineered Hybrid Poplar », Forests 14, no. 4: 827, 2023.
x Ibid.
xi Ibid.
xii Lu sur le site de Open AI.
xiii Clay, « How Much Did Living Carbon Raise? Funding & Key Investors », 14 avril 2025.
xiv Living Carbon, « Living Carbon Announces Agreement with Microsoft for 1.4 Million Tonnes of Carbon Removal from Reforestation of Former Mine Lands in Appalachia », 21 avril 2025.
xv Elliot Hershberg, « Living Carbon: Photosynthesis-Enhanced Trees – Why and how to engineer trees; climate biotech business strategy », The Century of Biology, 22 septembre 2024.