GreenLight Biosciences : l’ARN à tous les étages
Après les séquences génétiques et l’ADN, voici venir l’ARN, nouvelle molécule phare des biotechnologies censée résoudre les problèmes agricoles ou sanitaires. Les entreprises dans ce domaine fleurissent. Parmi elles, GreenLight Biosciences, une entreprise qui, au bord de la faillite, a été rachetée par le fonds d’investissement Fall Line Capital.

GreenLight Biosciences est une entreprise étasunienne créée en 2008 dont l’objectif, tel que précisé sur leur site, est de « créer un système alimentaire plus sûr et plus équitable en utilisant la nature. En fournissant aux agriculteurs et aux apiculteurs du monde entier des produits à base d’ARN efficaces et faciles à utiliser, GreenLight Biosciences s’efforce de permettre une production alimentaire plus résiliente et de respecter l’environnement ». Elle vise l’élaboration de produits à base d’ARN qu’elle ambitionne de commercialiser pour l’agriculture, l’apiculture, mais également la santé humaine.
De nombreuses « biosolutions à base d’ARNi » bientôt sur le marché agricole
GreenLight Biosciences est une des premières entreprises à commercialiser des produits à base d’ARN interférent (ARNi) destinés au monde agricole. Elle commercialise un spray insecticide contre le doryphore, appelé Calantha. D’autres produits utilisant cette technologie pourraient arriver sur le marché, comme des insecticides, fongicides et herbicides. Ainsi, son produit pour lutter contre le varroa, un acarien en partie responsable du déclin des colonies d’abeilles, est en cours d’examen par les autorités étasuniennes.
GreenLight Biosciences travaille également à la mise au point d’un spray à ARNi pour lutter contre le botrytis, un champignon qui peut endommager le raisin, la fraise, la tomate,… Ce spray est actuellement testé en champs aux États-Unis. A des stades de développement moins avancés, cette entreprise évoque des « solutions » contre le mildiou, Plutella xylostella (la teigne des crucifères), le fusarium (un champignon) et Tetranychus urticae (un acarien).
La santé humaine également ciblée
En santé humaine, GreenLight Biosciences ambitionne de mettre sur le marché un vaccin contre la Covid : une demande a été déposée auprès des autorités étasuniennes. Elle travaille sur un vaccin pour tenter de protéger des zonas (ou herpès zoster) ou des cancers. L’entreprise a reçu plus de 2,7 millions d’euros de la Fondation Gates pour développer des thérapies géniques et « explorer de nouvelles capacités à faible coût pour la guérison fonctionnelle in vivo de la drépanocytose et/ou la suppression durable du VIH dans les pays en développement ».
Une présence à l’international
Sur son site Internet, l’entreprise précise avoir réalisé plus de 100 essais en champ au cours des quatre dernières années. En Europe, elle cite plusieurs pays (Allemagne, Belgique, France, Espagne, Pays-Bas, Pologne) pour un total de 11 essais sur ce continent. En Espagne, GreenLight Biosciences a implanté une filiale et, en 2022, elle a annoncé qu’elle allait louer une vingtaine d’hectares pour « étudier les problèmes de culture causés par l’oïdium, le botrytis, le fusarium et le doryphore de la pomme de terre ». Des essais contre Plutella xylostella ont déjà eu lieu en Espagne. Dans un document interne, GreenLight Biosciences évoque également des essais en champs de spray ARNi, en Italie en 2021, contre le champignon botrytis.
En Afrique, GreenLight Biosciences s’est associée à One Acre Fund, une ONG agricole implantée en Afrique orientale, pour réaliser des essais en champs de « biosolutions » pour lutter contre la chenille légionnaire d’automne (Fall armyworm).
Dans le domaine de la santé humaine, le développement à l’international est aussi à l’œuvre. GreenLight Biosciences a ainsi conclu un accord de licence avec Serum Institute of India, plus grand producteur mondial de doses de vaccins en 2020. « Selon l’accord, le fabricant indien […] aura accès à la plateforme technologique de GreenLight pour développer et fabriquer jusqu’à trois produits à base d’ARN messager, puis les commercialiser », a déclaré l’entreprise. L’entreprise a également signé un partenariat pour la production à grande échelle de vaccins à ARNm avec l’entreprise coréenne Samsung Biologics. GreenLight Biosciences tente aussi d’implanter son vaccin contre la Covid en Afrique. Elle a déjà obtenu du Rwanda et de l’Afrique du Sud l’autorisation pour des essais cliniques et initié, en 2021, un partenariat avec une organisation de recherche scientifique, IAVI, pour accélérer le déploiement de son vaccin contre la Covid-19 de GreenLight en Afrique.
Une technologie achetée à Bayer et des brevets en nombre
Les produits agricoles à base d’ARNi de GreenLight Biosciences ont été développés suite à un accord de transfert de technologie signé avec Bayer CropScience en décembre 2020. Cet accord stipule que GreenLight Biosciences était « tenue de verser à Bayer un paiement de clôture d’un montant de 2 000 000 $ [1,8 millions d’euros] ainsi que certains paiements d’étape pouvant atteindre 2 000 000 $ [1,8 millions d’euros] au total, dans l’éventualité où certaines approbations réglementaires seraient obtenues ». Bayer augmente donc ses bénéfices en cédant des licences, mais ne prend pas le risque économique de développer lui-même ces « biopesticides » à base d’ARNi.
GreenLight Biosciences possédait « au 10 mars 2023, […] environ 40 familles de brevets dans divers domaines de [leur] activité. Parmi ces familles de brevets, environ six familles concernent la production d’ARN ; environ sept familles concernent d’autres technologies liées à la santé humaine ; environ 18 familles concernent la protection des cultures et la santé des abeilles ; environ trois familles concernent la production de sucres ; et environ six familles concernent le contrôle des processus et la production de composés ».
Aucun bénéfice en 14 ans
Depuis sa création, en 2008, GreenLight Biosciences a levé au moins 216 millions d’euros pour développer ses produits. Malgré un soutien des investisseurs, cette entreprise écrivait, fin décembre 2022 : « Nous n’avons généré aucun revenu à ce jour et nous prévoyons des pertes et des flux de trésorerie négatifs dans un avenir prévisible. Nous avons accumulé des pertes considérables depuis notre création. […] Au 31 décembre 2022, nous avions un déficit cumulé de 420,6 millions de dollars [383 millions d’euros] ». Elle ajoute ensuite : « il est possible que nous ne générions jamais de revenus ou de bénéfices ». En 14 années d’existence, l’entreprise n’a donc généré aucun bénéfice et ne prévoit pas d’en faire. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir été valorisée à 1,5 milliard de dollars.
Ce rapport économique, rédigé par l’entreprise pour la « Securities and exchange commission », précise qu’elle a « tiré la quasi-totalité de [ses] revenus d’accords de licence et de collaboration, ainsi que de subventions et de partenariats de recherche avec des tiers ». Parmi les accords de licence, nous avons évoqué celui passé en 2022 avec le Serum Institute of India, mais on pourrait en citer beaucoup, comme celui avec Acuitas Therapeutics, Inc..
Les finances publiques sont également de la partie. L’Union européenne (UE) soutient cette entreprise via sa filiale espagnole, qui a touché un peu plus de 300 000 euros dans le cadre du projet de recherche « NextGenBioPest ». Ce projet lui donne accès aux recherches de nombreux instituts publics européens, dont l’institut de recherche publique française, l’Inrae. En juin 2024, la Banque européenne d’investissement (BEI) soutenait à hauteur de 35 millions d’euros sa filiale espagnole, qu’elle considérait comme alignée sur les objectifs du Pacte Vert et de la stratégie Farm2Fork.
Le 9 août 2021, cette entreprise a été pour la première fois cotée en bourse via le rachat par l’entreprise « Environmental Impact Acquisition Corp ». Elle était alors « valorisée à 1,5 milliard de dollars ». Deux ans après, le 30 mai 2023, GreenLight Biosciences Holdings, PBC (nouveau nom de l’entreprise suite à la fusion de 2021) quittait Wall Street. L’entreprise était alors rachetée par un groupe de financiers dirigés par le fonds d’investissement Fall Line Capital pour un montant de 45,5 millions de dollars (42,3 millions d’euros). Dans le giron de Fall Line, on trouve d’autres entreprises de biotechnologies, comme Granular (filiale de Corteva, un des leaders en logiciel dédié à l’agriculture), Impossible Foods (qui commercialise les steaks végétaux issus d’OGM), Lithos Carbon (qui propose d’épandre du basalte sur les champs pour capturer du carbone), Sound Agriculture (qui travaille sur les micro-organismes du sol), etc. Fall Line est aussi un des investisseurs de l’entreprise toulousaine MicroPep Technologies. A noter également que le fonds achète des terres agricoles aux États-Unis ; terres qu’elle appelle sur son site Internet « des actifs minéraux » (« mineral assets »)…
La « simple » startup GreenLight Biosciences n’aura donc, en 14 années d’existence, connu que des pertes financières malgré des investissements publics et privés. Elle appartient à un fonds d’investissement qui lui-même investit dans nombre de domaines de l’agriculture technologique (agritech). Dans le cas de GreenLight Biosciences, le bien-être vanté de ses produits (quasiment pas commercialisés) pour l’humanité a cédé le pas aux intérêts financiers.