n°178 – janvier / mars 2025

Quels sont les chantiers législatifs de la Commission européenne sur le vivant ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 01/01/2025, modifié le 08/04/2025

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Entre le 3 mai 2022 et le 12 octobre 2023, la Commission européenne ouvrait de nombreux chantiers législatifs touchant au vivant. Déréglementation des OGM, numérisation du vivant et brevets sont autant de sujets mis sur la table de l’Union européenne. La conséquence de ces projets, s’ils devaient être adoptés, serait une appropriation du vivant facilitée pour les multinationales.

Depuis le 5 juillet 2023, l’attention est focalisée sur la proposition formulée par la Commission européenne de déréglementer un grand nombre d’OGM végétaux en supprimant les obligations d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage le long de toute la chaîne de production et de transformation jusqu’aux consommateurs. Mais cette déréglementation des plantes OGM n’est pas le seul sujet à l’ordre du jour du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne.

Faciliter l’appropriation du Vivant

La stratégie des multinationales pour s’approprier le vivant via des outils de propriété industrielle leur impose de faire supprimer toutes traçabilité et informations sur l’origine du « matériel » ayant servi de base à leurs inventions brevetées. Dans le domaine du vivant, ce « matériel » est la biodiversité (des êtres vivants), qu’elle soit sauvage ou cultivée. Connaître l’origine des organismes vivants utilisés pour mettre au point une invention brevetée reviendrait, en théorie, à limiter les revendications de propriété industrielle aux seuls organismes issus de l’invention. Une perspective qui ne répond pas aux ambitions ou impératifs industriels des multinationales de la semence, de la pharmacie, des pesticides, des micro-organismes ou encore du numérique.

L’outil informatique fut un élément déterminant dans cette stratégie. Il a permis d’accélérer grandement les capacités de séquençage des génomes d’organismes vivants et de constituer des bases de données informatiques pour compiler des informations de séquences numérisées (DSI en anglais). Ces bases de données peuvent contenir des séquences génétiques, mais aussi des informations sur les caractères de ressources génétiques qui les contiennent ou d’autres informations liées à ces données. Ces DSI sont ainsi l’objet de multiples débats réglementaires alors même qu’elles ne disposent d’aucune définition juridique partagée par tous.

Exploiter la biodiversité en utilisant des « ressources génétiques » qui la composent nécessite aujourd’hui d’avoir une autorisation fournie par les autorités locales pour accéder à ces ressources et, éventuellement, les transférer de leur lieu d’origine vers les laboratoires et les marchés. Pour les plantes, cela nécessite de renoncer à tout droit de propriété intellectuelle portant sur ces ressources, leurs parties ou composantes génétiques, et de partager les avantages tirés de l’exploitation de cette biodiversité. Le sujet des DSI est aujourd’hui utilisé comme une opportunité pour tenter de contourner ces obligations. Au sein de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), mais également au sein de la Commission des ressources génétiques de la FAO ou du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), des négociations sont en cours pour savoir si les DSI sont des ressources génétiques non brevetables ou des produits de la recherche brevetables. Or, s’il était décidé qu’elles ne sont pas des ressources génétiques, leur utilisation ne serait pas soumise aux règles que l’on vient de résumer.

Ces DSI permettent pourtant aux entreprises d’ambitionner le dépôt de demandes de brevets sur des informations de séquences qu’elles affirment avoir mises au point à l’aide de telle ou telle technique de modification génétique brevetable. La portée de ces brevets s’étendrait à tous les organismes contenant les séquences concernées, à condition que l’origine des DSI ne soit pas renseignée dans les bases de données ni requise dans la demande de brevets et que les États soient privés de toute capacité effective de contrle.

La Commission européenne pousse plusieurs pions

La législation actuelle de l’Union européenne sur les OGM constitue un frein à cette stratégie en cours à l’international. Elle impose en effet un étiquetage, une traçabilité documentaire et une publication des procédés analytiques de détection et d’identification de tout OGM disséminé ou commercialisé en Europe. Si ces méthodes de traçabilité sont fournies, les revendications très larges ambitionnées par les entreprises qui détiennent des brevets ne pourront plus être satisfaites aussi aisément. Ces entreprises poussent donc l’Union européenne et d’autres pays à ne plus réclamer l’étiquetage et la traçabilité des OGM pour pouvoir étendre la portée de leurs brevets aux ressources biologiques contenant naturellement, ou suite à des sélections traditionnelles non brevetables, les mêmes DSI que celles couvertes par leurs brevets.

La Commission européenne a donc ouvert plusieurs chantiers législatifs en Europe pour répondre aux desiderata des industries de se débarrasser de toute obligation de traçabilité. Ces initiatives servent, au passage, à se débarrasser d’autres requis de la réglementation européenne actuelle jugés inutiles, comme l’évaluation des risques. De mai 2022 à octobre 2023, ce sont pas moins de sept propositions de règlements que la Commission a présenté au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne.

Dans les grandes lignes, qu’en est-il ?

Pour les DSI, la Commission européenne a présenté, en octobre 2023, une proposition (procédure 2023/0353) de signature par l’Union européenne de l’accord signé au sein de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) et « portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ». Cet accord cite les DSI mais sans les définir, ne permettant pas au débat d’avancer dans l’immédiat. Un an plus tôt, en mai 2022, la Commission européenne a formulé une proposition de règlement (procédure 2022/0140) pour encadrer l’accès aux informations de santé des européens, dont leurs données génétiques, génomiques et protéomiques. Ces informations sont des DSI humaines dont la proposition de règlement propose de permettre l’accès à des acteurs de la recherche et industriels.

Pour les végétaux OGM (dont les algues marines ou d’eau douce, comprenant certains micro-organismes), une déréglementation a été proposée en juillet 2023 (procédure 2023/0226) qui vise à ne plus soumettre de nombreux végétaux OGM à une évaluation des risques et une obligation d’étiquetage et de traçabilité. Elle permettrait ainsi l’extension de la portée des brevets sur des DSI (« informations génétiques » ou « matières biologiques » associées à une « fonction » particulière) à tous les organismes qui les contiennent et expriment cette fonction, qu’ils soient ou non issus de l’invention brevetée.

D’autres micro-organismes OGM (MGM) font également l’objet de discussions entre les États membres et la Commission européenne. Cette discussion porte sur une potentielle nouvelle interprétation du règlement 1829/2003 afin d’exempter d’étiquetage et traçabilité des lots d’additifs alimentaires contaminés par de l’ADN issu de MGM ayant servi à leur production.

Dans le domaine médical, la Commission européenne a proposé en avril 2023 (procédure 2023/0132) d’harmoniser et d’alléger les procédures d’autorisation de produits médicaux de thérapies géniques « contenant des séquences d’acides nucléiques recombinantes ou des microorganismes ou des virus génétiquement modifiés », ou des cellules GM.

Les semences font aussi l’objet d’une initiative législative, lancée en juillet 2023 (procédure 2023/0227). Adoptée, la proposition de règlement faite par la Commission européenne pourrait faciliter l’identification des semences commercialisées par des marqueurs moléculaires, supprimer les protections nationales existantes des droits des paysans, ouvrir la voie aux OGM brevetés et faciliter la confiscation de toutes les semences paysannes et traditionnelles.

Enfin, les brevets font aussi l’objet d’initiatives de la Commission européenne. En avril 2023, elle a présenté deux propositions de règlements qui visent à prolonger la durée d’un brevet délivré pour des produits phytopharmaceutiques (procédure 2023/0126) et des produits médicaux (procédure 2023/0127). Ces propositions sont en cours de négociations entre Parlement européen, Conseil de l’Union européenne et Commission européenne.

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